*_Samara J. Andrews

Au milieu de la nuit, le silence. Un calme lugubre. Un silence de mort. Rien ne bougeait. Personne ne parlait. Pas âme qui vive. Enfin, façon de parler… Le temps était morne. La température avait énormément baissé depuis quelques jours. La nuit était noire, rien ne l’éclairait. Même cette Lune en faucille était masquée par de sombres nuages noirs. Nuages aux allures sinistres. Ils se tenaient au-dessus de leurs têtes innocentes – quoique peut-être pas tant que ça – et menaçaient de déverser sur eux un torrent de pluie et d’orage, comme durant les jours qui avaient précédé. La forêt n’était pas la seule à leur en vouloir. La nature entière s’y mettait. Le temps même était de la partie. Mais qu’avaient-ils donc fait pour que tout cela leur tombe dessus ? Leurs intentions n’étaient pourtant pas mauvaises. Ils n’étaient qu’une bande d’étudiants inconscients, persuadés de déjouer les pièges qui les attendaient au détour du moindre chemin sinueux. Convaincus qu’une légende n’aurait jamais raison d’eux et qu’ils parviendraient à percer le mystère qui entourait ces bois. Foutaises. Tout ce que cette histoire leur avait apporté, c’était de l’angoisse, de la peur, des cris et des larmes. Ils ne pouvaient plus retourner en arrière, leur route avait été barrée. De manière indéniablement volontaire. Deux d’entre eux étaient portés disparus. Et l’un avait déjà été retrouvé mort, laissé sur place, comme un objet sans importance. Le corps sans vie de Danae raisonnait comme une menace à travers les arbres. Elle se répandait comme une traînée de poudre, emportée par le vent qui bruissait entre les buissons, qui s’infiltrait jusque dans leurs tentes sans surveillance. Pauvres étudiants insouciants qui ne se doutaient même pas de ce qui allait leur arriver. Voilà plusieurs jours qu’ils auraient dû s’en aller. Les vivres commençaient à manquer. Les esprits se torturaient afin de trouver un moyen de repartir. Le moral de tous retombait, s’aplatissait, écrasé par tant de douleur et de peine. Une camarade, une amie était morte. Tout était en train de sombrer. Dans une lente et douce agonie. Si douce qu’ils ne s’en apercevaient même pas. Si douce qu’ils ne verraient pas qu’ils sont pris dans un piège mortel. Une magnifique toile que la forêt a tissée d’une main de maître. Et à présent, elle n’avait plus qu’à se régaler…

Une bourrasque plus forte vint secouer les tentes, sans la moindre douceur cependant. Les toiles tremblaient sous sa puissance mais rien ne semblait perturber le calme qui régnait sur le campement. Quoique pas tout à fait…
Tara avait soudainement ouvert les yeux au beau milieu de la nuit. Elle fixait la toile de sa tente sans comprendre ce qu’il se passait. D’ordinaire, elle ne se réveillait pas aussi facilement. Pas à cause d’un simple coup de vent. Mais rien n’était ordinaire dans cette forêt. Rien n’était pareil, et Tara réagissait de façon étrange à chaque événement. Elle n’était plus vraiment la même. Toute cette angoisse, toutes ces histoires riches en émotions, c’était trop pour elle. Décidément, il fallait qu’elle se reprenne. La peur l’envahissait, se répandait en elle comme un poison lent et douloureux depuis qu’ils étaient ici. Elle n’avait d’ailleurs presque pas profité de son séjour dans les bois de Greenville, tant elle l’avait passé à s’inquiéter pour chacun de ses proches. Sans parler qu’elle avait failli rester coincée dans une grotte lugubre dès le premier jour. Ou encore qu’une amie qui lui était chère avait perdu la vie à cause de leur inconscience. Sans parler d’Aogan qui était porté disparu et que personne n’était parvenu à retrouver. Tara craignait le pire. Et cela ne faisait qu’augmenter le sentiment d’angoisse qu’elle ressentait pour ses proches. Ses amis, son frère. Tous ceux présents sur le camping, même ceux qu’elle haïssait. Car personne ne méritait le sort qu’avait subi Danae…

Soudain, elle crut entendre un murmure humain se mêler à celui du vent. Et cette voix…elle pensait la reconnaître. Ou alors n’était-ce qu’un effet de son imagination parce qu’elle était en train de penser à lui ? Lentement, elle se redressa dans son sac de couchage et tendit l’oreille. Le murmure n’avait pas cessé. Il était présent, pressent. Il semblait prononcer son nom au cœur de la tempête qui s’annonçait. Tara ne savait pas quoi faire. Se blottir dans ses couvertures ou aller vérifier si elle n’était pas en train de devenir folle ? Cependant, elle préféra suivre son premier sentiment plutôt que sa raison. S’il s’agissait bien d’Aogan, elle devait aller vérifier, même si elle devait se rendre compte que ce n’était que son imagination. La jeune irlandaise enfila donc un pull par dessus celui, plus léger, qu’elle portait pour dormir. Elle se chaussa rapidement puis attrapa sa lampe de poche dont elle avait finalement remplacé les piles. En effet, elle ne voulait pas que l’histoire de la grotte se répète. Se retrouver seule dans le noir était quelque chose qu’elle préférait ne pas revivre. Lentement, elle sortit de sa tente. L’obscurité parut l’avaler toute entière. À présent, la seule source de lumière proviendrait de sa lampe de poche. Et uniquement de sa lampe de poche. Cela n’était pas pour la rassurer. Mais peu lui importait. Elle l’alluma et éclaira les alentours. Tout était silencieux. Les étudiants étaient bercés par la tempête qui approchait. Puis elle l’entendit à nouveau. Ce murmure. Cette voix. Tara tourna la tête et éclaira les arbres. Retenant un cri, elle parut voir une silhouette s’éloigner à travers les arbres. Son cœur battait à vive allure. Elle avait même cru pendant une seconde qu’il s’était arrêté. Et le temps qu’elle reprenne ses esprits, la silhouette avait disparu. Perplexe, la jeune irlandaise avança d’un pas hésitant. Puis finalement, elle se décida à emprunter le même chemin au cœur des bois. Cela pouvait paraître d’une inconscience totale, mais c’était trop tard, elle avait pris sa décision. Et il était temps qu’elle laisse ses appréhensions de côté et qu’elle agisse pour découvrir ce qu’il se passait réellement par ici.

Le faisceau lumineux de sa lampe n’était de loin pas assez suffisant pour éclairer entièrement le chemin. Elle n’y voyait pas grand chose, mais elle se laissait guider par ce murmure incessant qu’elle entendait à plusieurs mètres devant elle. Plus elle avançait, plus elle se disait qu’elle était peut-être folle. Qu’elle ne faisait qu’imaginer cette voix. Et qu’elle allait indéniablement se perdre. Mais finalement, après quelques minutes de marche, elle parvint à l’orée de la forêt. Les arbres étaient plus espacés, mais la lumière de la Lune ne filtrait toujours pas à travers les nuages sombres. Enfin, elle déboucha sur un grand espace. Elle déboucha devant lac. Immense, noir, lisse. Il était si calme que cela ne présageait rien de bon. Tara éclaira les alentours, à la recherche d’une silhouette. Mais il n’y avait rien. Il n’y avait personne. Même le murmure s’était tut. Elle se sentit alors submergée par cette angoisse, cette haine et cette tristesse qui ne demandaient qu’à sortir. Angoisse de se retrouver seule dans le noir. Haine de ne rien pouvoir faire pour arranger les choses. Tristesse d’avoir à nouveau perdu un être cher alors qu’elle avait cru le voir près, très près d’elle. Les larmes lui montèrent aux eux, elle se sentait alors perdue. Non pas physiquement, mais moralement. Elle ne se reconnaissait plus, elle ne parvenait plus à se retrouver. Un sanglot s’échappa de ses lèvres tandis que ses cheveux, balayés par le vent, fouettaient son visage. Une larme coula le long de sa joue puis un craquement retentit. Brusquement, elle se retourna, sa lampe éclairant la silhouette de son meilleur ami qui avait dû la suivre jusque là.

- « Tara ? Mais qu’est-ce que tu fais ici toute seule ? »

La jeune irlandaise tenta tant bien que mal de ravaler ses sanglots, mais elle avait du mal. Elle abaissa la lampe et détourna le regard, honteuse.

- « J’ai cru…j’ai cru voir Aogan. Mais j’ai dû rêver… »

Les larmes coulaient silencieusement le long de ses joues et elle tentait tant ben que mal de les cacher, sans y parvenir. Il était pourtant rare de la voir dans un tel état. Mais cette forêt l’épuisait, la poussait à bout. Elle n’avait qu’une envie, s’en aller…